Interview de Pascal Crété : Président de la coordination régionale Santé mentale France Normandie
Retour aux actualitésRencontre avec Pascal Creté,
président de la Coordination régionale Santé mentale France Normandie, médecin-directeur général d’une association active sur les territoires de Caen et Bayeux. Psychiatre formé à la psychothérapie institutionnelle, il défend une approche du soin profondément humaine, traversée par l’histoire des lieux et des collectifs qui les portent.
Depuis plus de 20 ans, il développe des dispositifs ancrés sur le territoire : accompagnement à domicile, résidences accueil, lieux de vie et de soins pensés pour durer. Engagé de longue date au sein de santé mentale France, il œuvre au rapprochement du sanitaire et du médico-social, dans une vision transversale et inclusive de la santé mentale.
Santé mentale France soutient et valorise le monde associatif, qui joue un rôle essentiel dans le développement de réponses innovantes et ancrées dans les réalités du terrain. Ces associations, portées par des professionnels, des usagers ou des proches, ont souvent été à l’origine de projets pionniers. Aujourd’hui encore, elles permettent d’expérimenter, de créer du lien et de faire évoluer les pratiques en s’appuyant sur l’expérience vécue.

1. Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours, notamment en lien avec votre engagement pour la santé mentale ?
Je viens du champ de la psychothérapie institutionnelle, qui articule soin et organisation institutionnelle, pour accompagner les personnes au plus près de leurs besoins, notamment dans la dimension du rétablissement ; c’est une organisation qui s’appuie sur la clinique, sur les possibilités de la personnes, aussi sur ses limites et non l’inverse, où la personne devrait s’adapter à l’organisation. Psychiatre de formation, j’ai commencé à exercer au sein des Foyers de Cluny à Caen, un foyer d’accueil médicalisé créé en 1975, qui accueille sur le long terme des personnes souffrant de schizophrénie. Parallèlement, j’ai travaillé auprès d’enfants dans d’autres établissements médico-sociaux et fondé une consultation pour étudiants sur le campus de Caen, toujours active aujourd’hui.
En 2005, j’ai pris la direction médicale du foyer, puis en 2009, nous avons ouvert un dispositif d’accompagnement à domicile : L’Appui, regroupant un SAAD (Service d’Aide et Accompagnement à Domicile) spécialisé, un SAVS (Service d’Accompagnement à la Vie Sociale) et un SAMSAH (Service d’Accompagnement MédicoSocial pour Adultes Handicapés). En 2019, une résidence d’accueil est venue compléter notre offre, proposant un logement social sécurisé pour 30 personnes en situation de handicap psychique.
Je suis aujourd’hui médecin directeur général de l’association avec deux autres établissements (Bayeux et Giberville) et d’autres services (ESAT, Foyers d’hébergement…) ; ce poste me permet de maintenir un regard médical, de soignant sur des structures médico-sociales, un enjeu essentiel face à l’évolution du secteur.
Mon engagement au sein de Santé mentale France s’inscrit dans la continuité de ce parcours. Dès les années 1995-2000, j’ai représenté le foyer Les Foyers de Cluny au conseil d’administration de Croix-marine Basse-Normandie, puis j’ai pris davantage de responsabilités au fil des années. À partir de 2012, j’ai formé un binôme avec un médecin hospitalier, président de la coordination, en devenant vice-président avec un ancrage médico-social. Ensemble, nous avons travaillé au rapprochement du sanitaire et du médico-social en Normandie, dans une logique de transversalité qui correspond à l’esprit de la fédération.
Depuis, je suis président de la coordination régionale normande, constituée en association à part entière. Cette structuration autonome nous permet d’animer le réseau régional et de porter des projets en lien direct avec les orientations de Santé mentale France, tout en tenant compte les spécificités de notre territoire.
2. Quels sont les principaux éléments qui font la force de cette fédération ?
Santé mentale France rassemble une diversité d’acteurs : établissements sanitaires, médico-sociaux, professionnels, associations d’usagers… Le fait que la fédération permette à différents acteurs de se rencontrer et de travailler ensemble sur un pied d’égalité est une richesse précieuse. C’est cette diversité et cette capacité à fédérer qui fait la force de Santé mentale France.
Une autre force importante de la fédération, c’est sa capacité à ne pas couper le lien avec l’histoire. Elle intègre dans son action présente l’héritage des mouvements qui l’ont précédée : les Croix-Marine, le médico-social d’Agapsy, le mouvement de la psychiatrie de secteur, en veillant à ce que les valeurs fondatrices ne soient pas effacées. Dans un contexte de politiques publiques souvent très verticales, il est essentiel de garder en mémoire comment nos institutions se sont construites, parfois dans des contextes très difficiles et de continuer à s’inspirer de cette histoire pour faire évoluer nos pratiques.
Cette transversalité est importante pour Santé mentale France, afin de défendre une approche profondément humaine, citoyenne et engagée, tout en s’inscrivant dans une dynamique de transformation fidèle à ses racines et à la richesse des expériences collectives qui l’ont forgée.
3. Pouvez-vous nous rappeler les principales valeurs et projets défendus par Santé mentale France ?
Les valeurs de santé mentale France s’inscrivent dans une dynamique qui favorise la citoyenneté des personnes concernées, le droit au rétablissement, à l’accompagnement dans la vie sociale et professionnelle, le respect de l’individualité de chacun.
Le travail est immense et certains droits sont encore aujourd’hui insuffisamment garantis comme l’accès au droit de vote pour les personnes en situation de handicap ; ou encore l’accès au travail, surtout en milieu ordinaire, en tenant compte des spécificités du handicap psychique : fluctuations, fragilités, besoins d’adaptation.
Santé mentale France soutient et valorise le monde associatif, qui joue un rôle essentiel dans le développement de réponses innovantes et ancrées dans les réalités du terrain. Ces associations, portées par des professionnels, des usagers ou des proches, ont souvent été à l’origine de projets pionniers. Aujourd’hui encore, elles permettent d’expérimenter, de créer du lien et de faire évoluer les pratiques en s’appuyant sur l’expérience vécue.
4. Quelles sont les récentes initiatives portées par la fédération ?
En Normandie, nous organisons chaque année plusieurs journées de formation ouvertes aux professionnels du sanitaire, du médico-social, aux personnes concernées par les troubles psychiques et aux associations. La prochaine portera sur les habitats inclusifs. Ces journées favorisent la rencontre, le partage d’expériences et la réflexion commune.
Nous avons aussi mis en place des soirées ciné-débats. Ce type d’initiative permet de sensibiliser un public plus large et d’agir contre la stigmatisation.
Enfin, la coordination normande de Santé mentale France porte le développement des Premiers Secours en Santé Mentale (PSSM) et du changement des pratiques des professionnels vers le rétablissement, en créant un réseau de formateurs et un guichet unique pour organiser les formations sur tout le territoire. C’est un levier important de prévention et de déstigmatisation.
5. Pour finir, quel message souhaitez-vous adresser aux adhérents et aux soutiens de santé mentale France ?
Il est essentiel de ne pas oublier l’histoire qui a fondé notre action : la psychiatrie de secteur est née en réaction à la dimension privative des libertés de l’asile, avec une volonté de penser autrement la relation de soin et l’organisation des institutions. Aujourd’hui, nous avons une opportunité à saisir avec les Projets Territoriaux de Santé Mentale (PTSM). Il faut revenir à une logique de proximité, de territoire, en travaillant avec tous les acteurs locaux : établissements, professionnels, associations d’usagers, familles, collectivités.
C’est à cette échelle que les réponses peuvent émerger. Il ne s’agit pas seulement de plaquer des protocoles nationaux, mais de faire vivre les expériences locales, les initiatives concrètes, les alliances de terrain. La fédération doit continuer à porter cette vision ancrée, dynamique, qui fait le lien entre passé, présent et avenir. C’est à cette condition que l’on pourra véritablement transformer nos politiques de santé mentale.