[Interview] – Jean-Philippe Cavroy & Laurence Potte-Bonneville, passage de témoin à la fédération

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Laurence Potte-Bonneville succède à Jean-Philippe Cavroy en tant que Déléguée générale, après plusieurs années en tant qu’administratrice de la fédération.

Dans un échange à deux voix, ils dressent le bilan des actions menées ces dernières années et partagent les orientations stratégiques qui guideront les travaux futurs de la fédération.

Pouvez-vous retracer brièvement votre parcours et ce qui vous a amené à vous engager dans la santé mentale ?

Jean-Philippe — Mon parcours est en deux temps. D’abord l’entreprise, puis l’associatif. Le bénévolat a toujours occupé une place importante, mais je voulais concilier ce que je faisais en dehors du travail avec mon activité professionnelle. La santé mentale est arrivée par des proches concernés par les troubles psychiques. Et puis, par hasard, j’ai été invité à une porte ouverte du Clubhouse, juste au moment où il ouvrait à Paris. C’était un véritable coup de cœur pour le lieu, la méthode.
Dans le commerce équitable, il ne s’agissait pas non plus d’assister les producteurs mais de leur permettre de s’organiser, de s’entraider, de se constituer en coopératives. Reconnaître la personne dans son entièreté, créer des conditions propices pour l’autodétermination c’est ce qui a fait le lien avec mon engagement actuel.

Laurence — J’ai toujours travaillé dans le secteur de l’associatif, dans les domaines de la santé, de la précarité, puis du handicap. Dans chacune de ces expériences, l’action s’est centrée sur la primauté des droits des personnes concernées, sur l’empowerment, mais aussi sur la compréhension de l’impact des troubles psychiques et l’importance de la promotion de la santé mentale.

On est aujourd’hui dans un moment de transition pour la fédération. Qu’est-ce que cela représente pour vous deux, personnellement et collectivement ?

Jean-Philippe — La santé mentale est un sujet de longue haleine. La fédération porte ce combat depuis sa création. Santé mentale France a été pionnière sur beaucoup de sujets, notamment la réforme de la PCH  [Prestation de Compensation du Handicap, plus accessible pour les personnes en situation de Handicap psychique], la diffusion du concept de rétablissement en santé mentale et la promotion de la réhabilitation psychosociale. Aujourd’hui, il y a un alignement : la société prend conscience du sujet, les pouvoirs publics aussi. Nous sommes en même temps dans une crise de la psychiatrie. Et la fédération se redéploie dans ce contexte. C’est une renaissance et c’est aussi un rendez-vous avec le moment présent.

Laurence — Oui, c’est une période charnière. Je suis d’accord : il y a une sorte d’alignement des planètes. Ce que la fédération a porté depuis longtemps, se retrouve aujourd’hui à l’agenda. Peut-être pas encore assez, mais le sujet est là et il est aussi dans les cœurs et dans les esprits. On en parle. C’est une étape déjà très importante et il est de notre devoir que le sujet reste une priorité politique et sociétale.

Cinq années d’engagement, le bilan de Jean-Philippe Cavroy

Jean-Philippe, si tu analyses les cinq années passées, quels sont les moments forts qui t’ont marqué ?

Jean-Philippe — L’enjeu principal a été de mieux faire exister la fédération. De lui donner une identité claire, de mieux l’ancrer dans le présent. 

Il y a eu des jalons : le manifeste, le livre blanc, le collectif “Santé mentale Grande cause nationale” que nous co-animons toujours, le Collectif DAP (Directives Anticipées en Psychiatrie), la Communauté de Pratiques Santé mentale et Travail… Tout cela a montré qu’il y avait besoin de travailler ensemble, que la fédération avait une contribution à apporter, mais aussi qu’elle n’avait pas vocation à tout faire seule. Parce que nous sommes la seule structure qui rassemble toutes les parties prenantes, de manière transversale. C’est notre ADN.

Autre élément important : la reprise de ce que la fédération a toujours su faire, les événements, les échanges de pratiques. Le Congrès Réhab, les Journées Nationales, mais aussi les Ateliers du rétablissement qui sont une proposition nouvelle de ces dernières années. Là, on est vraiment au cœur de ce que nous pouvons apporter.

La création du média Plein Espoir, nous a également permis de donner plus de visibilité à la parole des personnes concernées. Notre rôle est de porter ce message, de le diffuser.

Et enfin, je citerais la montée en puissance de la formation, que cela soit auprès du grand public, pour faire vivre la prise de conscience sociétale ou auprès des professionnels et des institutions, pour garantir l’effectivité des soins, de l’accompagnement, et de la dignité des personnes en tout situation.

Une nouvelle étape avec Laurence Potte-Bonneville comme Déléguée Générale de la fédération

Laurence, qu’est-ce qui t’a donné envie d’accepter cette responsabilité en tant que Déléguée générale de Santé mentale France ?

Laurence — Je ne suis pas là par hasard. J’étais déjà depuis quatre ans au conseil d’administration, donc je sais où je mets les pieds. Et je le fais avec beaucoup de joie. Ce qui m’a donné envie, c’est à la fois le collectif et le projet. Comme je le disais, la santé mentale a toujours été là en filigrane dans mon parcours, mais ces dernières années les choses se sont vraiment précisées dans le médico-social. J’ai pu cheminer aux côtés de personnes en situation de handicap psychique ou affectées par des troubles du neuro-développement, et de professionnels qui les accompagnaient. Cela m’a permis d’approfondir mes connaissances et a conforté mon grand intérêt pour la santé mentale.

Et puis il y a aussi le moment. C’est une période de grande visibilité, mais ce qui m’importe c’est d’inscrire dans la durée ce qui pourrait n’être qu’éphémère. Santé mentale France est un lieu où convergent des solutions, des pratiques innovantes, des volontés. On est dans une dynamique qui oriente vers des solutions, et c’est ça qui me plaît.

Projections autour du projet stratégique 2025-2030

La Fédération a défini trois grands enjeux : parler plus fort, aller plus loin, être plus rassembleur. Jean-Philippe, comment ils s’incarnent au quotidien ?

Jean-Philippe — Pour moi, ces trois dimensions, on les vit déjà. Parler plus fort, c’est avoir retrouvé une parole forte, une parole qui a du poids. Pas une parole qui prend la place des autres, mais une parole fédératrice et donc légitime.

Aller plus loin, ça s’est incarné dans les événements, dans les réseaux, dans la formation. On a élargi notre action, on a touché plus de monde. Quand on voit l’essor des Ateliers du rétablissement avec plus 1000 personnes lors de la dernière édition ou de la formation (+ 5 300 personnes formées en 2024), on se rend compte qu’on a vraiment franchi une étape.

Être plus rassembleur, c’est dans l’ADN de la fédération. Faire dialoguer les personnes concernées, les proches et les soignants, c’est indispensable, parce que personne ne peut résoudre seul les enjeux de la santé mentale.

Laurence, comment comptes-tu concrétiser et amplifier ces priorités dans les années qui viennent ?

Laurence — Le projet stratégique nous donne un cap, mais la mise en place se fera forcément collectivement !  Pour moi, la première étape, c’est de décliner le projet stratégique en plan d’action, de le prioriser avec l’ensemble du réseau. Il faut aussi récolter et valoriser ce qui a déjà été semé, par Jean-Philippe, le conseil d’administration, les adhérents, les coordinations régionales. Et puis nous devons mettre un accent fort sur la parole des personnes concernées. Soutenir cette émergence, ça change tout. Quand on s’appuie sur cette expérience et cette énergie rassemblée, on voit la différence.

Nous avons tout à gagner à affirmer nos positionnements sur certains sujets. Pas des doctrines fermées, mais des prises de position simples et ouvertes, comme sur les Directives Anticipées en Psychiatrie (DAP) ou la reconnaissance des savoirs expérientiels. Et puis nourrir les adhérents, avec des idées, des pratiques, des outils. En fait, donner à voir ce qu’est la fédération, de façon encore plus lisible.

Si vous deviez adresser un message aux décideurs publics pour que cette stratégie se concrétise, quel serait-il ?

Jean-Philippe — On le dit souvent : la solution ne viendra pas d’un seul endroit. Pas seulement de la psychiatrie, pas seulement de la recherche, pas seulement de l’accompagnement, pas seulement des personnes concernées. La psychiatrie est essentielle, elle doit évoluer, il faut plus de moyens, plus de professionnels. La recherche peut apporter, l’accompagnement aussi, mais aucun de ces secteurs ne peut résoudre seul les défis actuels. 

La solution sera forcément collective, transversale, et construite ensemble. La clé, c’est d’utiliser toutes les compétences, y compris celles des personnes concernées et leur savoir expérientiel. Ça rend tout le monde plus intelligent.

Laurence — Nous avons aussi besoin d’une loi d’orientation. Une grande loi, qui donne le cap et les moyens de la transformation du système de santé mentale en France. La vision que nous portons, c’est celle de la personne dans son entièreté, dans sa dignité et cette vision, elle est partagée par beaucoup, dans la société et parmi les professionnels. Notre rôle, c’est de répéter, répéter encore, d’être tenaces, pour que cette vision s’installe et inspire les politiques publiques.

Les acteurs du changement

Les adhérents font vivre la santé mentale au quotidien auprès des personnes concernées, proches et familles. Quel message voulez-vous leur adresser ? Comment renforcer leur place dans la fédération ?

Jean-Philippe — Je pense qu’il faut rendre la fédération la plus vivante possible. Ça veut dire écouter les adhérents, leur donner envie de parler et de participer. Les échanges nourrissent tout le monde. C’est ce que la fédération doit apporter : une respiration, des moments d’intelligence collective. On le constate lors des Journées ou des Ateliers : ces temps de rassemblement nourrissent les participants et leur font du bien.

Donc le rôle, c’est de donner envie, de soutenir aussi les coordinations régionales, pour qu’elles prennent plus de place et de dynamisme.

Laurence — C’est un travail de longue haleine et un chantier passionnant.

Je crois qu’il faut aussi nourrir les adhérents, pas seulement avec des échanges mais avec des ressources : des idées, des concepts, des bonnes pratiques. Leur donner des outils. Et puis il faut aider les adhérents à se connaître entre eux, à se compter.

Il faut aussi donner de la visibilité aux coordinations régionales. Les aider à se nourrir des expériences des unes et des autres. Continuer à faire grandir ce cercle vertueux ! 

La fédération s’appuie aussi sur des alliances fortes : le collectif DAP, la CoP-SMT, le collectif Grande Cause Nationale, le Collectif Handicap et bien d’autres ! Pourquoi ces éléments sont structurants ?

Jean-Philippe — Pour moi, les collectifs, c’est vraiment notre place. Le Collectif Directives Anticipées en Psychiatrie, Grande cause nationale, la Communauté de pratiques Santé mentale et Travail… Chaque fois qu’on y est, on a toute notre légitimité. C’est le cœur de notre identité : travailler ensemble, fédérer, rassembler.

Et c’est aussi une attente. Les adhérents ne paient pas une cotisation simplement pour être là. Ils attendent que la fédération les rende plus forts ensemble que s’ils étaient seuls. Travailler avec des collectifs, ça nous définit mieux, ça montre notre singularité : cette composition unique entre personnes concernées, soignants, médico-social. C’est notre force.

Comment construire une dynamique de partenariat durable ?

Jean-Philippe — Sans “corps intermédiaires” comme le nôtre, les décideurs, financeurs, font face à une diversité d’acteurs certes riche mais parfois complexe à appréhender seul.

Les mécènes qui nous soutiennent ont compris que c’est un levier essentiel, pour agir à une autre échelle. Et j’aimerais les remercier chaleureusement pour leur soutien.

Laurence — La notion de partenariat est un élément essentiel dans la culture de la fédération, que cela soit avec nos adhérents comme avec nos financeurs. Ce que l’on constate, c’est cette volonté commune de s’inscrire dans le temps long, afin de permettre d’opérer de réels changements sociétaux, au bénéfice des personnes concernées par les troubles psychiques. 

Nos soutiens sont des alliés avec qui nous pouvons également exprimer nos doutes ou nos difficultés, au-delà d’un rapport “financeur-financé”. Cette confiance nous autorise ainsi à explorer un dialogue exigeant et riche de solutions, pour construire ensemble une meilleure fédération.

Le rétablissement et le pouvoir d’agir des personnes concernées sont au cœur des valeurs que défend Santé mentale France. Comment cette vision a-t-elle transformé les pratiques ?

Jean-Philippe — La fédération a toujours poursuivi une intuition : celle de la nécessité de mettre la santé mentale au cœur de la cité. Dans les années 50, au moment où les acteurs historiques de Santé mentale France naissent, s’amorçait déjà l’ouverture des asiles, puis la mise en place du secteur psychiatrique, la volonté de rapprocher les soins des territoires. 

Ensuite est venue la réhabilitation psychosociale, avec des outils comme les TCC, qui permettent d’aider les personnes à mieux s’adapter à leur vie, à leur environnement. Et puis peu à peu, le rétablissement est apparu comme une évidence : ce qu’on cherche, au bout du compte, c’est que les personnes vivent mieux, qu’elles soient reconnues comme des citoyens à part entière, avec des droits, et qu’elles puissent s’épanouir.

Laurence — Le rétablissement, ce n’est pas un objectif à atteindre une fois pour toutes, c’est un processus. Mais c’est un processus qui change tout.Le levier principal, c’est de continuer à s’appuyer sur l’expérience des personnes concernées. C’est une vision exigeante, mais il faut que ce soit une boussole pour nos actions. Et je pense qu’il faut continuer à créer des espaces où cette parole est entendue, relayée et reconnue, pas comme un supplément d’âme, mais comme une base de travail.

Des horizons pour la suite

Jean-Philippe, alors que tu quittes la fédération, quel message souhaites-tu partager ?

Jean-Philippe — J’ai le sentiment que la fédération avance sur un bon cap. Le travail est immense, mais le conseil d’administration, l’équipe, tout le monde est aligné. J’ai confiance dans le fait qu’elle va continuer ses missions, toujours au service de tous et avec les autres. Ce n’est pas de l’autosatisfaction, il ne faut jamais tomber là-dedans, mais je trouve que c’est rassurant.

Ce que j’aimerais rappeler aussi, c’est l’importance de rester humbles. La santé mentale nous y oblige : c’est un sujet à la fois complexe et fragile, et chaque rencontre avec une personne en souffrance nous ramène à cette humilité.

Laurence, si on se projette en 2030, à quoi ressemblerait pour toi une fédération qui a pleinement réussi sa mission ?

Laurence — La fédération continuera à défendre la dignité et les droits des personnes concernées sans relâche. Elle pourra non seulement renforcer ce qui fait déjà son succès au travers des grands temps de rencontres et des changements de pratiques. Elle sera également encore mieux identifiée comme un espace de transformation où chacune des parties-prenantes du champ de la santé mentale peut  trouver des ressources, du sens et des solutions.  Ce qui nous portera dans les cinq prochaines années, ce sera la persévérance à faire rayonner et développer des solutions portées par et pour les personnes concernées, pas à pas, plutôt que l’attente d’un hypothétique grand soir.

Et pour conclure, qu’est-ce qui vous donne de l’espoir dans la société actuelle, pour l’avenir de la santé mentale ?

Jean-Philippe & Laurence — D’abord, la prise de conscience. Dans le grand public, dans les entreprises, chez les jeunes. C’est un sujet qui est de moins en moins tabou. Ensuite, les pouvoirs publics : ça n’avance pas assez vite, mais le sujet est à l’agenda. Et puis il y a la reconnaissance grandissante de la légitimité des personnes concernées. Ce n’est jamais assez, mais ça progresse. Enfin, les cloisons commencent à tomber. Et ça, ce sont de vraies raisons d’être optimiste. Nous continuerons à la fédération d’accompagner et de nourrir cette bascule grâce à nos formations, nos campagnes et nos rencontres.

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