INTERVIEW DU MOIS : Pierre Godart, président de la Coordination régionale Santé mentale France Nouvelle-Aquitaine
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Rencontre avec Pierre Godart président de la coordination régionale Santé mentale France Nouvelle-Aquitaine, psychiatre engagé et fervent défenseur d’une approche territoriale et inclusive de la santé mentale. Après avoir débuté dans un établissement pour adolescents, il s’est tourné vers la psychiatrie de secteur à l’hôpital public, à une époque charnière où se développaient les CMP et où l’ancrage communautaire était au cœur des pratiques. Président de la CME de son établissement, il prend pleinement conscience des limites de l’institution et s’engage alors dans la réhabilitation psychosociale, tissant peu à peu un maillage solide avec les acteurs du médico-social autour d’une vision partagée du rétablissement. Son engagement au sein de Santé mentale France s’inscrit dans la continuité de ce parcours.
« La fédération défend des valeurs fortes : l’inclusion, la citoyenneté, la lutte contre la stigmatisation et surtout, la place centrale des personnes concernées. On ne parle pas seulement de soin, mais de parcours de vie, de pouvoir d’agir, de choix. Le rétablissement n’est pas un concept flou, c’est une ligne directrice qui implique de repenser les postures professionnelles. »

1. Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours, notamment en lien avec votre engagement pour la santé mentale ?
Je suis psychiatre de formation. J’ai commencé ma carrière dans un établissement pour adolescents, dans un esprit très institutionnel. Ensuite, j’ai rejoint l’hôpital public où j’ai ouvert une unité d’accueil avec les valeurs de la psychiatrie institutionnelle, mais surtout j’ai développé le travail de secteur dans la période d’ouverture des CMP (centre médico-psychologique), avec déjà la recherche de liens avec l’ensemble des partenaires et des acteurs locaux, sur le territoire du secteur.
Plus tard, j’ai été élu président de la CME dans mon hôpital. La Commission Médicale d’Établissement (CME) est l’instance qui représente les médecins dans un hôpital et participe à la gouvernance médicale, en veillant notamment à la qualité des soins et à l’organisation de la politique médicale.À ce poste, j’ai été confronté à la situation dramatique de nombreuses personnes hospitalisées depuis 10, 15, parfois 25 ans, sans véritable projet, sans perspectives de sortie. C’est à ce moment-là que je me suis engagé dans ce que l’on appelait pas encore la réhabilitation psychosociale, soit l’ensemble des outils et des pratiques professionnelles apportées pour soutenir les personnes vivant avec des troubles psychiques, pour qu’elles puissent retrouver une vie autonome et une place dans la société. C’est aussi à cette période que j’ai commencé à bâtir, avec d’autres, des partenariats avec le médico-social, des maisons relais, des structures d’accompagnement….Une dynamique de territoire autour du rétablissement en santé mentale s’est construite peu à peu.
Le rétablissement est un processus personnel : c’est le chemin que la personne trace elle-même, pour vivre avec ou au-delà du trouble, en construisant une vie qui a du sens pour elle.
Mon engagement au sein de Santé mentale France est une filiation naturelle, elle remonte aux origines des Croix-Marine, association historique qui a progressivement évolué vers ce qu’est aujourd’hui la fédération. Aujourd’hui, mon rôle est celui de président de la coordination régionale Nouvelle-Aquitaine.
Depuis 1992, avec un certain nombre de collègues Bordelais, nous nous réunissons chaque mois (des acteurs du médico-social, de l’hôpital et du social) pour réfléchir ensemble à l’accompagnement des personnes vivant avec des troubles psychiques. Ce groupe est devenu la délégation régionale de Santé mentale France Nouvelle-Aquitaine.
2. Quels sont les principaux éléments qui font la force de cette fédération ?
La grande force de Santé mentale France, c’est sa vision transversale et collaborative. Contrairement à d’autres fédérations très sectorisées (par type de professionnel ou de structure), SmF regroupe des acteurs très divers autour d’une même vision : celle d’une santé mentale construite avec les usagers et non pour eux uniquement.
Nous avons toujours mis en avant des pratiques centrées sur les personnes concernées par les troubles psychiques, en défendant leur participation active, la démocratie en santé et la collaboration entre les secteurs sanitaire, social et médico-social.
C’est aussi une fédération qui valorise l’action régionale : à Bordeaux et dans le Sud-Ouest, par exemple, nous avons développé une dynamique de rencontres, de formations, de journées régionales régulières, qui permet aux acteurs de terrain de se rencontrer et de réfléchir ensemble.
3. Pouvez-vous nous rappeler les principales valeurs et projets défendus par Santé mentale France ?
La fédération défend des valeurs fortes : l’inclusion, la citoyenneté, la lutte contre la stigmatisation et surtout, la place centrale des personnes concernées. On ne parle pas seulement de soin, mais de parcours de vie, de pouvoir d’agir, de choix. Le rétablissement n’est pas un concept flou, c’est une ligne directrice qui implique de repenser les postures professionnelles.
Santé mentale France s’inscrit dans une volonté de créer un environnement collectif de soutien, avec les professionnels, les proches et les personnes concernées, tous mobilisés ensemble.Cela se traduit par des projets très concrets, comme les Journées nationales et régionales, les formations innovantes pour transformer les pratiques (nous avons également organisé avec Michel Laforcade1 , dans le cadre de l’UPPA 2 un diplôme universitaire intitulé Santé mentale, psychiatrie et rétablissement -SAMPRE- pour diffuser largement nos convictions), le plaidoyer auprès des pouvoirs publics [livre blanc]. Ces événements que nous organisons permettent de réunir plusieurs centaines de personnes et d’ancrer localement les réflexions.
4. Quelles sont les initiatives récentes portées par la fédération ?
Parmi les initiatives importantes, je citerais la place que Santé mentale France a su prendre dans de nombreuses instances nationales et locales. Cela permet de porter une voix singulière, qui défend une vision collaborative de la santé mentale.
Les Ateliers du Rétablissement en santé mentale [vidéos] sont une initiative que je soutiens fortement, un évènement qui me semble particulièrement essentiel. Ces ateliers permettent de valoriser des expériences de terrain, de valoriser les parcours des personnes concernées, de les mettre au centre. J’aimerais vraiment réussir à les développer davantage dans notre région.
Enfin, la fédération propose aussi une offre de formation significative, accessible dans différentes régions et adaptée aux réalités des professionnels comme des personnes concernées.
5. Pour finir, quel message souhaitez-vous adresser aux adhérents et aux soutiens de Santé mentale France ?
Je voudrais dire aux adhérents qu’ils ne sont pas seuls, qu’il existe un collectif qui porte des valeurs fortes et qui essaye, même dans un contexte difficile, de faire bouger les lignes. Il faut continuer à créer du lien entre les acteurs, à promouvoir des espaces de dialogue entre professionnels, personnes concernées et proches. C’est essentiel.
Je crois profondément que c’est en s’alliant localement, en partageant nos pratiques, nos doutes, nos réussites, que nous pouvons faire avancer la santé mentale en France. Le rétablissement est un engagement quotidien, souvent discret, mais porteur d’espoir.
1 Ancien directeur général de l’ARS Nouvelle-Aquitaine
2 Université de Pau et des pays de l’Adour